Le bus de Rosa Parks !
Le 1 décembre 1955 marque un tournant important dans la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis. Tout se joue dans la ville de Montgomery en Alabama où une femme défie l’ordre établi. Elle prend la liberté de franchir la ligne de démarcation. Elle s’assoit. Rosa Parks s’assoit pour lever l’Amérique. A première vue, le geste paraît banal mais dans cette partie de l’Amérique, la couleur de peau définit la place de chacun. Certes noirs et blancs peuvent s’asseoir mais dans un périmètre circonscrit. On ne prend pas place où l’on veut car les règles sont strictes comme dans les bus.
En conséquence, la compagnie répartit le positionnement des usagers en trois sections dont la première et la seconde comptent dix sièges. Les blancs occupent la première située à l’avant. Les noirs siègent à l’arrière. La troisième section située au milieu compte seize sièges. Noirs et Blancs peuvent s’y asseoir. Il y a cependant des règles à respecter.
« Séparés mais égaux »
Premièrement, à bord du bus un noir n’a pas le droit de s’asseoir à côté d’un blanc. Si une personne noire ne trouve pas de place autorisée, elle doit rester debout, ou quitter le bus. Deuxièmement, à l’inverse, dans la même situation, si une personne blanche cherche à s’asseoir, les noirs de la première rangée “colored” doivent leur laisser la place.
De plus, après l’achat du billet au chauffeur, les Noirs descendent du bus pour accéder par la porte arrière car la traversée de la section avant leur est interdite.
Soulignons que 75% des usagers sont noirs.
Rosa Parks assise pour lever l’Amérique
Dans ce contexte, une femme décide de braver la loi et refuse de céder sa place assise à un blanc. Du haut de son mètre soixante, la couturière noire de 42 ans, dit « NON ! ». Elle se nomme Rosa Louise McCauley Parks. Un refus spontané sans préméditation. Mais une lassitude mûrement nourrie car l’histoire se répète. En effet, Elle a déjà eu maille à partir avec le chauffeur du bus que Rosa Parks connait bien. James Blake l’avait laissée sur le bord de la route en novembre 1943 car elle avait osé franchir l’inaccessible section avant. Cet emplacement délimité, réservé exclusivement aux blancs pour rejoindre l’arrière du bus. Aussitôt, James Blake l’empoignait et la descendait du bus. Elle avait dû poursuivre son chemin à pieds et marcher plus de huit kilomètres, sous la pluie.
Aujourd’hui, l’histoire se répète. Cette fois, elle fait entendre sa voix, elle veut une issue différente. Son refus de céder sa place est ferme et définitif. Le chauffeur du bus la menace d’appeler les policiers mais Rosa Louise McCauley Parks reste impassible. Pas question de reculer. D’un ton assuré, elle répond fermement : faites donc !
Après ces quelques mots, sa vie bascule. L’engrenage judiciaire des récalcitrants aux lois de la ségrégation est en marche.
Elle ose vouloir être une citoyenne ordinaire au même titre que les blancs.
Rosa Parks « La mère du mouvement des droits civiques »
Ce 1 décembre 1955, la police arrête Rosa Louise McCauley Parks et l’emmène au poste de police où elle est traitée comme une vulgaire criminelle. Photos, empreintes et numéro d’Identification puis elle est transférée en prison. Rosa Louise McCauley Parks devient le matricule 7053.
La bataille judiciaire est donc lancée.
Qu’à cela ne tienne, elle vient de semer la graine de la révolte qui germe à vue.
La communauté noire s’organise. Edgar Nixon, responsable du bureau local de l’Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur (NAACP), où Rosa Parks travaille comme secrétaire, prend contact avec un avocat blanc.
Clifford Durr accepte de contester la loi sur la ségrégation dans les bus. Elle sort de prison le lendemain soir.
Un collectif d’organisations noires se crée pour structurer la mobilisation. Un jeune pasteur de 26 ans prend sa direction. Le choix est stratégique car il est nouveau dans la ville de Montgomery. Il n’est donc pas perçu comme un danger par la plupart des blancs. Le pasteur est aussi choisi pour son éloquence et son attachement à la non-violence. Il s’appelle Martin Luther King Jr.
La structure est en place et Rosa Parks devient le symbole du collectif « Montgomery Improvement association » qui lance le boycott de la compagnie d’autobus.
Le mouvement a trois revendications. Premièrement que les Blancs et les Noirs s’assoient librement où ils veulent dans l’autobus. Deuxièmement, que les chauffeurs soient plus courtois à l’égard de toutes les personnes et enfin que la compagnie engage des chauffeurs noirs.
Mobilisation intense dans la rue et devant les tribunaux
Le tribunal condamne Rosa Parks pour désordre public et violation des lois locales. En conséquence, elle écope d’une amende de 10 dollars pour avoir enfreint la loi et 4 dollars supplémentaires pour les frais de justice.
Elle refuse de se soumettre au verdict et ses avocats font appel en soulignant le caractère inconstitutionnel de la ségrégation raciale dans les transports publics. Lorsque la Cour suprême de l’Alabama condamne le 5 juin 1956 la ségrégation raciale dans les bus, ils remportent une première victoire.
Une décision que confirme par la suite la Cour Suprême des États-Unis le 5 décembre.
Dans la foulée, les noirs de Montgomery mettent fin le 20 décembre 1956 à 381 jours de boycott.
Le sud ségrégationniste vacille sous l’impulsion de Rosa Parks mais cette victoire n’est qu’une première étape. C’est le début d’une longue lutte pour que les noirs intègrent la société américaine.
Les Etats-Unis franchissent un cap important en 1964 au moment du vote de la loi interdisant toute forme de discrimination basée sur la race, la couleur, le sexe, la religion ou la nationalité. Le Civil Right Act est acté.
La reconnaissance
La détermination de la militante des droits civiques fait des émules et on salue son courage. La prestigieuse Médaille Spingarn de l’Association nationale pour l’avancement des personnes de couleur récompense son engagement. La médaille porte le nom du professeur et directeur du département de littérature comparée de l’Université de Columbia Joel Elias Spingarn qui a œuvré au concept d’un mouvement noir unifié au sein de la NAACP . Il a été l’un des premiers dirigeants juifs du mouvement. Au fil du temps, la lutte pour la justice raciale devient l’œuvre de sa vie car il est convaincu que les Américains blancs rectifieraient les injustices s’ils en étaient conscients. Le plus important est aussi d’éveiller les consciences pour Rosa Parks que récompensent la médaille d’or du Congrès et la Médaille présidentielle de la liberté qui est la plus haute décoration civile des États-Unis.
Le dernier bus de Rosa Parks
La mère du mouvement des droits civiques achève son combat à 92 ans le 24 octobre 2005 à Détroit dans le Michigan. Des milliers de personnes lui rendent hommage dans sa ville d’adoption. Par la suite, Washington accueille son cercueil avec toute la symbolique de son engagement pour un recueillement national. D’abord, l’un des premiers commandants de bord noirs des Etats-Unis pilote l’avion qui transporte son corps. Ensuite un autobus de 1957 mène le cortège funéraire jusqu’à la rotonde du Capitole. Dans ce lieu de pouvoir, reposent les présidents et héros de guerre, aux côtés de son corps exposé.
Hommage national à l’icône des droits civiques
C’est ainsi que Rosa Parks devient la première femme à recevoir un tel honneur et la deuxième personne noire après Jacob Chesnut, un officier de police du Congrès, tué sur les marches du bâtiment en 1998. Plus de 30000 personnes viennent saluer la femme courageuse qui a su dire NON.
Ensuite, le cercueil de Rosa Parks regagne Détroit. Il est exposé dans le Musée d’Histoire afro-américaine Charles Wright. Les obsèques se déroulent à l’église Greater Grace Temple à Detroit. Anonymes et personnalités font le déplacement. Une queue interminable se forme aux premières lueurs du jour devant l’église en raison du nombre limité, environ 2000, de places réservées au public. Le président américain George W. Bush ordonne la mise en berne des drapeaux sur les édifices publics pour la journée. La journée d’adieu se termine au cimetière Woodlawn, la dernière demeure de Rosa Louise McCauley Parks.
Comme pour rappeler l’immortalité de son combat et l’ancrer un peu plus dans l’histoire à l’occasion de son centième anniversaire, une statue est érigée à Washington en son honneur.
« Aujourd’hui, à l’instar du président Abraham Lincoln, Rosa Parks a obtenu une place de choix dans le patrimoine américain. Sa statue, qui la représente assise, siège enfin à Washington. Elle est d’une carrure fragile mais son courage est puissant»
Barack Hussein Obama
Rosa Louise McCauley Parks devient la première femme noire à avoir sa statue de taille réelle dans le hall des statues du Capitole. Elle rejoint le buste d’une autre femme noire, l’abolitionniste Sojourner Truth, installé dans le centre des visiteurs. Les deux icônes ont trouvé leur place en toute légalité et égalité. Elles siègent au cœur du pouvoir. Chaque président des Etats-Unis venu prêter serment les croisera en chemin.
« Je voudrais que l’on se souvienne de moi comme d’une personne qui voulait être libre,
pour que les autres le deviennent aussi. »
Rosa Parks
2 Comments
Kingsley Nche
Très belle plume !
L’histoire est intéressante et nous rappelle que nous avons une responsabilité dans ce monde de chaos ; certains doivent prendre les devants de la scène…
Histoire du Monde Noir
Transmettre est notre devoir