Ernest Ouandié, l’indomptable !
Le 15 janvier 1971, peu avant 11h du matin, dans la ville de Bafoussam à l’ouest du Cameroun, trois hommes, poings et mains liés, marchent sous escorte de soldats vers la grande place publique où un peloton d’exécution est dressé. Une mise en scène savamment orchestrée, au vu et au su de tous, afin de briser toute velléité nationaliste.
La mise en scène
Comme le révèle une note non signée des archives du Comité international de défense d’Ernest Ouandié, constitué à l’initiative d’un groupe de militants tiers-mondistes basé à Paris et présidé par Théodore Monod, sur le déroulement de cette journée. Il en ressort que l’inspecteur fédéral de l’administration a convoqué la population de Bafoussam pour une réunion d’information avant de porter à sa connaissance le véritable ordre du jour. La population s’est déplacée comme escompté et doit maintenant être témoin de l’exécution de ceux que le pouvoir présente en “terroristes”.
Dans ce funeste cortège avancent Gabriel Tabeu dit « Wambo le courant », Raphaël Fotsing, agent de liaison de l’Union des Peuples du Cameroun et l’indomptable Ernest Ouandié, dernier leader charismatique du parti révolutionnaire.
Ernest Ouandié conserve sa prestance et sa verve, comme porté par la justesse de son combat alors qu’il s’engage sur le chemin du non-retour avec ses deux compagnons d’infortune. Cette route, il aurait voulu l’emprunter seul, considérant ses camarades innocents. Mais contrairement à sa volonté, l’exécution des innocents est actée et sans appel.
L’indomptable
Le dernier chef historique de l’U.P.C n’a donc pas de marge de manœuvre pour le salut de ses camarades mais il entend bien s’approprier son exécution publique pour en faire sa dernière tribune. Si l’on veut le réduire au silence, il faudra d’abord l’entendre. C’est la tête haute qu’il marche vers sa destinée. En dépit de la morbidité de la circonstance, Ernest Ouandié reste digne. Comme si la puissance des ses convictions lui insuffle la force de balayer la torpeur de la mort pour l’affronter sereinement.
Lorsque son destin se scelle au poteau d’exécution, il choisit de ne pas subir. Il reste maitre de l’instant et refuse qu’on lui bande les yeux. La mort est son avenir, il ne détourne pas les yeux préférant l’affronter en face comme chacun de ses combats. Il saisit sa dernière tribune et joue de l’oralité ancestrale afin de répandre son testament. La voix assurée et le sourire aux lèvres, c’est le leader inébranlable de l’Union des Peuples du Cameroun qui s’exprime. Comme si à la voie sans issue qu’on lui impose, il oppose une porte, celle de la liberté.
Il se saisit de cette liberté qui est le fondement de sa lutte pour s’exprimer une dernière fois :
« Mourir pour la liberté de mon peuple est un honneur, être exécuté ici à Bafoussam pour que mon sang coule jusqu’aux rivières les plus lointaines du Cameroun est un honneur, après moi d’autres continueront le combat et ce jusqu’à la victoire finale »
Il termine en entonnant un chant en bangou que couvre le crépitement des balles.
L’exécution
Le peloton d’exécution composé de douze soldats a ouvert le feu. Ernest Ouandié affaibli mais en vie s’écrit : « Que vive le Cameroun à jamais libre ! ». Le mot de trop semble-t-il pour un officier français qui surgit et presse le pas. Il s’avance, s’approche de Ernest Ouandié et s’agenouille pour être au plus près. Puis, il dégaine son révolver, se penche en avant et tire à bout portant.
Une exécution dans l’exécution, pour ne plus entendre la verve nationaliste raisonner, qui ouvre le chemin du dernier leader charismatique de l’Union des Peuples du Cameroun à la rencontre de ses prédécesseurs. Il rejoint ses camarades Ruben Um Nyobé, Félix Roland Moumié, Abel Kingué et Osendé Afana.
Des patriotes aux destins rendus tragiques par l’aversion du pouvoir colonial pour l’Union des Peuples du Cameroun. Celui que ses compagnons de lutte appelaient « camarade Emile » est inhumé au cimetière de l’église protestante de Bafoussam. Lui, qui se disait honoré de mourir pour la liberté de son peuple, est désormais érigé au rang de héros national.
3 Comments
Claude SIGNE
Merci pour cette page d’histoire.
Malheureusement pour la continuation de l’oeuvre des premiers nationalistes, les vrais héritiers sont minoritaires et leurs voies inodibles, dominés par celles des guignoles qui peuplent la scène politique à la faveur d’un phénomène de banditisme politique par lequel le pouvoir néocolonial de Yaoundé a institué en violation de toute législation: permettre la création d’un nouveau parti politique en 1991 avec le même nom UPC , mais dont la mission est de faire tout le contraire de ce qu’enseigne l’UPC des pères fondateurs. Pendant ce temps le droit d’existence légale est refusé aux véritables héritiers de la lutte nationalistes, contraints par un instin de survie à une démarcation sur leur nouvelle appellation UPC-MANIDEM.
Agbelenko Tino Doglo
Source d’histoire, source d’avenir. Je reviendrai m’y abreuver souvent.
Mbodji
Bien