Samuel Doe domine NO !
Le 9 septembre 1990, aux alentours de treize heures, le vent tourne pour le président du Libéria, Samuel Doe. La tempête gronde depuis plusieurs mois déjà. Son règne sans partage se heurte aux combattants de Charles Taylor et de Prince Yormie Johnson. Aujourd’hui se déroule l’épilogue. Une fin dont l’inhumanité n’a d’égale que la cruauté du règne qui vit ses dernières heures.
Samuel Kanyon Doe se pense en veine et décide de sortir de sa forteresse. Il ne pense pas se jeter dans la gueule du lion en se rendant dans la zone contrôlée par la force d’interposition de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Mais les heures sont comptées pour le leader du People’s Redemption Council qui vit reclus dans sa forteresse depuis le mois de juillet. Même confiné dans sa forteresse qui fourmille de militaires aux doigts sur la gâchette, il garde la main. Et, elle n’est pas sur le cœur.
29 juillet 1990
Le 29 juillet 1990, les soldats aguerris d’une unité d’élite de son armée ouvrent le feu sur l’église luthérienne Saint-Pierre de Monrovia. Alors que la guerre civile précarise la vie des libériens, environ 2000 hommes, femmes et enfants, y ont trouvé refuge. Il s’agit pour la plupart de personnes issues des ethnies Mano et Gio. Une origine que le pouvoir assimile, sans distinction, à un soutien aux forces rebelles de Charles Taylor.
« Beaucoup de personnes de ces ethnies Mano et Gio ont estimé que l’Eglise serait un sanctuaire. Ce jour-là, les soldats ont pénétré dans l’enceinte de l’église. Ils se sont mis à tirer et à tuer environ 600 personnes. »
Hassan Bility , président de l’Association Global Justice and Research Project (GJRP)
Ce jour-là n’est pas un jour comme les autres. C’est un dimanche, jour de culte. L’église qu’ils voyaient comme un refuge impénétrable, est violée et maculée de leur sang. Ceux qui parviennent à fuir sont traqués. Ils échappent aux balles mais sont exécutés à coups de machettes. Les hommes du colonel Moses Thomas, proche de Samuel Doe, qui commande la redoutable unité spéciale anti-terroriste, sont méticuleusement sordides dans l’exécution de leur mission. Le massacre dure des heures. Puis, les soldats jettent les corps dans des fosses communes à côté de l’Église luthérienne.
Le temps a passé et l’étau se resserre autour de celui qui était le tout puissant dirigeant du Libéria. Les combattants de Charles Taylor et Prince Yormie Johnson lui tiennent la dragée haute. Ils le poussent dans ses derniers retranchements. Les hommes du « Prince » sont aux portes de la capitale. Mais le pouvoir n’est pas prêt à céder, ni à négocier. C’est dans cet état d’esprit, de toute puissance inébranlable, que le président du Libéria sort de sa forteresse ce 9 septembre 1990.
9 septembre 1990
Ce 9 septembre 1990, on s’agite à Executive Mansion, le palais présidentiel libérien. Le président Samuel Doe annonce sa sortie imminente. Dès lors, sa garde est sur le qui-vive. Il n’a pas mis un pied à l’extérieur depuis un long moment. Aujourd’hui, il sort, c’est décidé ! Ses ministres de la Défense et de l’Information accourent. Le cortège présidentiel s’élance au son des sirènes qui annoncent son passage. Le trajet de quelques minutes s’arrête en plein cœur de la zone portuaire. Il y a un bâtiment de deux étages. C’est le quartier général de l’Ecomog, la force d’interposition envoyée au Liberia par la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Le président Samuel Doe descend de sa voiture blindée. Avec ses deux ministres et des éléments de la garde présidentielle, il s’engouffre dans le bâtiment. C’est ainsi qu’il monte et gravit les escaliers jusqu’au bureau du commandant en chef de l’Ecomog. Le général ghanéen Arnold Quainoo est tranquillement affairé dans son bureau au premier étage. La visite semble impromptue. Aucune mesure de sécurité particulière n’a été prise. En revanche, le général Quainoo est précautionneux. Il prend soin de récupérer l’arme du président libérien. Aussitôt, il l’a remet à un assistant. Des journalistes de la radio-télévision d’état sont convoqués in extremis. Ainsi, ils rejoignent la délégation présidentielle qui compte une centaine de personnes dans les locaux de l’état-major de l’Ecomog.
Le basculement
Alors que le président libérien se trouve dans le bureau du commandant de la force d’interposition de la C.E.D.E.A.O, un autre invité surprise lui emboite le pas. Une autre visite imprévue qui n’augure rien de bon. Un flux de véhicules se gare au quartier général de l’Ecomog. Une vingtaine d’hommes armés jusqu’aux dents en descendent. À leur tête, le chef rebelle Prince Johnson. Il veut s’inviter dans le bureau du général Quainoo. Mais les officiers de l’Ecomog parviennent à l’en dissuader.
Mais la tension est palpable. Le chef rebelle est très nerveux. Ses hommes ont le doigt sur la gâchette. Ils invectivent le camp adverse. L’échange, aussi houleux soit-il, est exclusivement verbal. Mais cela ne va pas durer. Une phrase va tout faire basculer.
« Ouvrez le feu ! »
Prince Yormie Johnson
Il n’en fallait pas plus pour ouvrir les hostilités. S’en suit 90 minutes de tirs nourris. Tout y passe. D’abord les fusils-mitrailleurs, puis les roquettes sans oublier les armes anti-aériennes s’exécutent. C’est alors que le chef de l’Ecomog appelle à cesser le feu. Cependant son exhortation est inaudible. La force d’interposition est spectatrice. Elle parvient néanmoins à mettre à l’abri des journalistes et deux ministres.
Lorsque cessent les tirs, 78 corps jonchent le sol. Il s’agit essentiellement des fidèles du chef de l’Etat. Il faut dire qu’ils avaient déposé les armes pour pénétrer les locaux de la force d’interposition. Les armes se taisent mais ce n’est que le début. Le chef rebelle Prince Yormie Johnson a une idée en tête et il l’exprime à ses hommes.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les rebelles capturent le président libérien dans le bureau du commandant en chef de l’Ecomog, sans interposition. L’humiliation commence. Ils le déshabillent. De la même manière, ils arrachent les gris-gris qui trônent sur sa poitrine. La boite à pandore est ouverte et chacun s’en donne à cœur joie. Un rebelle brise les jambes de Samuel Doe avec deux rafales de sa Kalachnikov. Blessé et jeté dans une voiture, le président libérien est désormais à la merci de Prince Yormie Johnson.
Humiliance
Prince Yormie Johnson ainsi que ses hommes n’ont pas la victoire silencieuse. Ils traversent la capitale en montrant aux yeux de tous leur président captif qui a les mains liées dans le dos. Ensuite, le cortège se rend au camp militaire de Bushrod Island, près du village de Caldwell, à moins de 10 km de Monrovia. C’est là que commence une lente agonie.
Tortures et mutilations sont exécutées en direct, et, sous le regard du chef rebelle. Prince Yormie Johnson savoure le moment avec une canette de bière à la main. L’ interrogatoire est sanglant. Chaque rebelle semble laisser libre cours à ses pulsions. C’est alors que l’un coupe les oreilles du président à la machette. L’autre lui brise les doigts. Dans la foulée, un autre balafre son visage. Un autre encore lui broie les parties génitales. En conséquence, il ne garde pas le silence. Ainsi, il parle de son patrimoine, ses comptes bancaires, du refuge de certains de ses proches.
Le 10 septembre, son corps mutilé, parcourt les rues de la capitale Monrovia. Les rebelles le promènent comme un trophée de guerre. Pour parfaire leur satisfaction, le corps trône sur une brouette.
Par la suite, dans l’après-midi, ils l’exposent dans la cour de l’Island Clinic. Aux yeux de tous, le corps de Samuel Doe est dans son plus simple appareil. C’est ainsi qu’il restera plusieurs jours. On prend soin de lui injecter du formol pour retarder la décomposition.
Les circonstances de la mort de Samuel Doe font échos à son arrivée au pouvoir en 1980. En effet, il était alors le plus gradé des putschistes. Avec ses camarades de régiment, il renverse le président Tolbert le 12 avril 1980. D’abord, ils saisissent le président libérien au saut du lit, en pleine nuit. Puis, ils l’éventrent et le défenestrent. Dix jours plus tard, ce sont treize hauts responsables du pouvoir renversé qui connaissent une fin funeste. Ils sont déshabillés. Intégralement et publiquement. Puis, ils sont exécutés sur une plage de Monrovia, à Barclay Beach.